Objectifs de l’enquête

Pour l’heure, les enjeux relatifs à la fin de vie en Outre-mer demeurent totalement ignorés des travaux engagés sur ce thème par le monde de la recherche, alors même que leurs situations sociodémographiques et sanitaires, autant que culturelles, diffèrent largement de celles de la métropole, et surtout que les changements s’y opèrent à un rythme tel qu’ils constituent une sorte de laboratoire des enjeux socio-politiques qui s’y attachent.

 

Un premier axe de recherche dressera le panorama des éventuelles inégalités de prise en charge médicale à cette étape de l’existence.

Un premier axe de recherche dressera le panorama des éventuelles inégalités de prise en charge médicale à cette étape de l’existence. Les décisions médicales en fin de vie sont généralement l’aboutissement d’un parcours de soins complexe ponctué par une succession d’interventions de l’équipe médicale. La nature de la pathologie à l’origine du décès, et notamment son incurabilité, est ici déterminante dans les stratégies thérapeutiques à ce stade de l’existence. Le type de décision (poursuite, arrêt ou limitation de soins, traitement de la douleur et autres symptômes, recours à la sédation notamment en phase terminale, etc.) varie également selon le lieu de la fin de vie. Certains chercheurs ont mis en lumière le rôle majeur du degré d’autonomie du patient [36] et de sa pathologie  sur son parcours à ce stade de la vie.

Sur tous ces aspects, le contexte de sous équipement médical et de plus grande précarité économique, caractéristique des départements ultra-marins (mais aussi de certaines zones métropolitaines, notamment rurales), induit-il des différences avec les départements métropolitains ? Certaines circonstances (l’âge du patient, son environnement social et familial, sa pathologie, le lieu où il reçoit des soins, le type de médecin, généraliste ou spécialiste qui le suit, etc.) creusent-elles les inégalités de prise en charge et d’accès au traitement, notamment aux soins palliatifs ? Dans quelle mesure existe-t-il une diversité dans la prise en charge de ce stade de l’existence selon les Dom ? Les facteurs déterminants des trajectoires résidentielles (domicile versus hôpital) avant le décès sont-ils partout les mêmes ?

L’analyse du moindre recours à l’hôpital aux Antilles et à la Réunion fera l’objet d’une attention toute particulière afin, notamment, d’éclairer l’action politique sur ce sujet. Précisons que la question des hospitalisations évitables en fin de vie a fait l’objet d’une abondante littérature.

 

Un deuxième axe mettra plus précisément l’accent sur la mise en œuvre des dispositions des lois sur les droits du malade et la fin de vie "Loi Leonetti" et "Clayes -Leonetti"

Un deuxième axe mettra plus précisément l’accent sur la mise en œuvre des dispositions des lois du 22 avril 2005 sur les droits du malade et la fin de vie, dite « loi Leonetti », et celle du 2 février 2016 créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, loi « leonetti-Claeys ». Il s’agira, d’une part, de confronter les pratiques médicales aux dispositifs législatifs et, d’autre part, de décrire le niveau de connaissance qu’ont les familles et les malades des dispositions relatives aux droits des malades ainsi que leur application.

La description des décisions prises par les médecins en fin de vie des patients et des conditions dans lesquelles elles sont prises (collégialité, prise en compte des directives anticipées et implication de la personne de confiance, directives anticipées) montrera dans quelle mesure, du côté des médecins, le degré de connaissance et de respect des dispositions législatives varient selon les territoires. On s’intéressera aussi à la connaissance qu’ont les proches des personnes décédées (aidants-carers) des dispositions de la loi en matière de concertation, ainsi qu’à leur participation aux décisions et leur ressenti face à celles-ci. L’enquête métropolitaine a, en effet, montré que l’appropriation de la loi par les familles et le personnel médical demeure encore limitée  : les proches ne sont associés qu’une fois sur deux aux discussions et décisions prises ; la désignation d’une personne de confiance reste très minoritaire (environ 35 %) et l’élaboration de directives anticipées exceptionnelle (2%). En vue de suggérer des propositions d’amélioration de la prise en compte de ce cadre législatif et, par là même, de l’égalité de traitement des malades, on mettra en lumière les circonstances qui favorisent -ou a contrario freinent- la connaissance et l’application de la loi. L’efficacité de la campagne d’information sur ces sujets, récemment mise en place par les pouvoirs publics, pourra aussi être estimée. L’expérience belge a montré la nécessité de ce type de recherche même lorsque des systèmes d’enregistrements de certaines pratiques sont obligatoires .

Dans un troisième axe seront abordés des aspects plus sociologiques relatifs au contexte familial et social à ce stade de la vie.

Dans un troisième axe seront abordés des aspects plus sociologiques relatifs au contexte familial et social à ce stade de la vie. On s’intéressera, tout particulièrement, aux différents acteurs et aux modalités de l’accompagnement des patients. En métropole, malgré le développement de politiques de santé visant à encourager le maintien à domicile et le souhait de la plupart des personnes de mourir chez elles, ce n’est le cas que pour un quart d’entre elles. Répondre positivement à cette attente est une question centrale sur le plan de la qualité de la fin de vie des personnes âgées. En comparaison, la situation des Antilles et de La Réunion où actuellement plus de 40% des décès ont lieu à domicile est singulière. Il semble donc essentiel de comprendre le pourquoi de cette spécificité et d’en tirer des enseignements qui pourraient, éventuellement, être répliqués ailleurs.

De nombreux professionnels, et parfois de structures (Hospitalisation à domicile (HAD), services de soins infirmiers à domicile, réseaux de soins palliatifs, etc.) peuvent intervenir au domicile du patient. Leur coordination (répartition des rôles, programmation des interventions, circulation de l’information, etc.) est un enjeu majeur de la qualité des prises en charge. On analysera donc le type de collaborations qu’ils entretiennent, le cas échéant, avec les familles accompagnantes. On sait que la disponibilité des membres de la famille – pour l’essentiel des femmes – est reconnue comme indispensable pour rendre possible la prise en charge au domicile des personnes et qu’au sein des couples âgés, le soutien mutuel des époux joue un rôle central dans le maintien à domicile. On se propose donc d’accorder une attention particulière au rôle de l’entourage familial sur les trajectoires résidentielles et les décisions de fin de vie [46]. De plus, le rôle d’aidant n’est pas sans conséquence sur leur propre santé, même si les effets sont complexes, tant s’entremêlent les contraintes qu’impliquent cette prise en charge (sentiment de non préparation, poids de la charge, etc.) et la satisfaction qu’apporte son accomplissement pour un proche. Il semble donc important de connaître les perceptions et attentes des familles afin d’améliorer la qualité de vie des accompagnants et par là même celle des personnes en fin de vie. 

Inégalités Sociales

Ces questions seront aussi abordées sous l’angle des inégalités sociales en raison de la précarité économique dans laquelle vit une fraction importante de la population (de tous âges) dans les divers Dom. Il a été montré qu’à d’autres stades de la vie (grand parentalité, prise en charge de parent en perte d’autonomie) la sociabilité familiale varie selon les milieux sociaux. Cependant les études ayant pris en compte cette dimension dans la question de la fin de vie sont rares et contradictoires. Sur tous ces points, on sera attentif aux effets de l’émigration qui touchent une grande part de la population, principalement aux Antilles, et réduit du même coup l’importance des soutiens familiaux présents dans le département.